Dessine-moi un concert avec Sylvain Cnudde – Interview

Dessine-moi un concert avec Sylvain Cnudde – Interview

Graphiste de formation, Sylvain Cnudde se balade toujours avec un calepin dans la poche, prêt à croquer une scène qui l’inspire au croisement d’une rue. S’il a pris l’habitude de dessiner en direct lors de ses études, il a également développé cette passion pour les concerts avec ce que ça implique de contraintes liées à la foule, la luminosité et au volume sonore qui pourraient venir troubler sa concentration. Un entretien s’imposait donc pour qu’il nous livre ses trucs et astuces.

Formation et inspirations

Quand et comment avez-vous commencé à dessiner ?

J’ai commencé à dessiner petit, à la maternelle. Comme on ne savait pas encore écrire, on nous faisait signer nos dessins par un autre dessin. Moi je faisais une voiture. Je n’ai jamais vraiment arrêté de dessiner depuis. Je me souviens avoir passé beaucoup de temps à gribouiller dans ma chambre, à copier des Tintin, Astérix et Lucky Luke, puis des Blueberry. Plus tard, je me suis lancé dans des études de graphisme et nos profs nous incitaient fortement à avoir toujours un carnet de croquis sur nous, et à dessiner le plus souvent possible, dans la rue, dans les transports en commun, dans la salle d’attente du médecin. Je me souviens de cette injonction : « Vous aimez dessiner ? Alors dessinez bon sang ! » Ça m’est resté.

Quels artistes et peintres vous inspirent ?

Il y en a beaucoup mais je vais citer en vrac Gustave Caillebotte, Eugène Boudin, William Turner, Jean Giraud/Mœbius, Nicolas de Crécy, Emmanuel Prost, Sandra Vérine… Mais aussi plein de dessinateurs de la sphère Urban Sketchers, Marion Rivolier, Marielle Durand, Dwa, Lapin…

Avec quel matériel dessinez-vous ?

Ça dépend de l’humeur et du sujet, j’aime bien varier. Pour les concerts, j’utilise le plus souvent un feutre pinceau à encre de Chine qui me permet de dessiner vite en pleins et déliés, et un autre à réservoir d’eau, pour mettre un peu de couleur. Pour des croquis de paysages ou de bagnoles, j’emploie des stylos plumes, des stylos feutres, ou même des stylos bille, et une petite boîte d’aquarelle. J’ai toujours un tas de matos dans mon sac à dos, et plusieurs carnets de formats et de types de papiers différents. Ça intrigue souvent les agents de sécurité, quand vient le moment du contrôle des sacs, à l’entrée des concerts : « Vous arrivez directement de l’école ? ».

 

Coilguns sylvain cnudde

Projets futurs

En regardant votre page Facebook, on peut voir que vous dessinez très souvent. Cela donne l’impression que dès que vous en avez envie, vous prenez vos crayons et vous vous lancez : un groupe de musique en concert, un portrait d’un artiste qui vient de mourir, un coin de rue, un paysage, une terrasse de café, une voiture ou une manifestation. Cette spontanéité, est-elle due à un désir de vouloir capturer rapidement l’impression d’un moment ?

Il y a de ça oui. Il y a d’abord cette habitude prise à l’école, comme je le disais précédemment, cette sorte d’urgence de dessiner pour progresser, ou au moins ne pas perdre la main. C’est comme une flamme à entretenir régulièrement. Et en fait plus je dessine, plus j’ai envie de dessiner. Tout devient alors sujet, y compris des choses totalement anodines. Mais ce que j’aime le plus, c’est dessiner dehors dans l’action, pour, comme tu dis, capturer rapidement une impression, un moment. Le dessin permet de garder une trace visuelle, mais aussi sensorielle. Quand je feuillette mes carnets, tous les souvenirs et sentiments du moment me reviennent, le temps qu’il faisait, qui j’ai croisé, dans quel état d’esprit j’étais, etc. Un autre avantage du dessin in situ est qu’il me permet de sortir de chez moi et d’atténuer le côté très solitaire de cette discipline. Quand je fais un croquis dans la rue, il y a toujours des passants qui s’arrêtent pour jeter un œil et faire un petit commentaire. C’est sympa ! Enfin, il y a un peu la pression des réseaux sociaux, l’envie de rester dans le fil d’actualité des gens qui me suivent. Je ne cours pas à tout prix après les like ou les commentaires, mais je dois avouer que ça encourage tout de même, surtout en cette période où le dessin en extérieur avec les amis devient compliqué.

Durant l’année 2017-2018, vous avez participé au projet Carnet de croquis de l’association l’École à l’hôpital. Pouvez-vous nous présenter ce projet et les raisons qui vous ont poussé à vous impliquer dedans ?

En effet, un ami, Nicolas Barberon, créateur du site De lignes en ligne, les croquis dans le métro, et de Croque And Roll Live, les croquis de concerts, avait branché plusieurs dessinateurs sur cette initiative du dessinateur et auteur de bande dessinées Wandrille. L’association l’École à l’Hôpital propose de dispenser des cours aux enfants qui sont bloqués à l’hôpital, pour des périodes plus ou moins longues, afin d’assurer une continuité pédagogique et ainsi leur éviter de perdre une année scolaire, voire plus. Les leçons sont données sous forme de cours particuliers par des enseignants bénévoles qui viennent directement au chevet des élèves. L’association avait alors besoin d’images pour sa communication sur les réseaux sociaux, notamment. Là où des photographies auraient posé des problèmes de droit à l’image, des croquis, même ressemblants, avaient plus de chance d’être acceptés. Y compris au niveau de la gêne que peut induire l’objectif d’un appareil photo. Une personne qui gribouille dans un coin de la chambre est beaucoup moins intrusive, et on finit par oublier qu’elle est là. Je me suis donc rendu à deux reprises, si je me rappelle bien, dans un hôpital de Versailles, pour croquer des cours d’anglais, de français et de maths. Pour une fois que je pouvais dessiner pendant que le prof parlait !

 

École à l’Hôpital sylvain cnudde

Le dessin en direct doit probablement poser problème pendant un concert, où l’on est dépendant d’un environnement que l’on ne maîtrise pas. Comment vous vous en accommodez ? C’est difficile de rester concentrer ou au contraire le son et l’ambiance vous aident à retranscrire un concert ?

C’est assez compliqué, c’est vrai. Ça a été assez difficile au début, j’avais du mal à oser sortir mon carnet. Je me disais : « laisses tomber ! ». J’y arriverai jamais et les gens autour vont se foutre de moi. Et pourtant je pensais aussi que ce serait quand même super chouette de garder une trace du moment, et qui soit différente d’une photo. J’ai donc fini par oser, et comme prévu, ça n’a pas été terrible. Mais je ne me suis pas découragé et me suis forcé à le faire de plus en plus systématiquement, car je savais que si je passais le cap, ça me délierait la main comme jamais. Et ça a été le cas. Enfin je crois ! En pratique, je me suis confronté à un certain nombre de problèmes : j’ai assez vite compris qu’il fallait que je me mette au plus près de la scène pour pouvoir voir quelque chose (je ne suis pas très grand !), et plutôt du côté gauche, car les guitares sont plus faciles à dessiner sous cet angle. Tout en gardant un œil sur le public souvent chahuteur des premiers rangs. Du coup, je vous mets un dessin fait du côté droit, par esprit de contradiction :

 

Grandma's Ashes sylvain cnudde

Il y a la lumière aussi, qui est parfois très limitée. Si j’ai la chance d’avoir un projecteur qui éclaire ma feuille, ça va, sinon j’ai une toute petite lampe qui me permet d’y voir clair. Mais il m’est arrivé de l’oublier et de dessiner dans le noir, pour un résultat… intéressant ! Enfin, j’ai appris à commencer mon dessin par plusieurs côtés. Si l’un des musiciens bouge trop, je le mets de côté, j’en commence un autre, et j’y reviens plus tard. Pour la concentration, je dirais que la musique m’aide, elle rythme souvent mes traits. Mais parfois, j’ai la sensation d’être dans une sorte de bulle et ne plus suivre vraiment le concert. L’idéal est bien sûr quand la symbiose se fait entre le dessin et la musique. Là, c’est un régal !

Souvenirs de concerts

Quel est le dessin de concert dont vous êtes le plus fier ?

C’est un peu dur de choisir. Il y a ceux que je trouve réussis graphiquement, ceux qui concernent un groupe que j’apprécie particulièrement, et ceux qui sont un souvenir d’un moment particulièrement fort. Je vais donc citer celui-ci, qui me rappelle douloureusement cette ambiance qui nous manque tellement : La Pince. Un dessin qui est en fait la somme de trois croquis mis bout à bout et assemblés après numérisation, me permettant d’inclure la foule déchaînée qu’il y avait ce soir là. C’était lors de la soirée anniversaire des 8 ans de l’association En Veux-Tu ? En V’là ! (EVTEVL), dans l’Anticlub du Cirque Électrique.

 

La Pince Sylvain Cnudde

En 2018 pour le Rock In Bourlon, vous couvriez pour la première fois un festival avec votre carnet de croquis. Comment avez-vous vécu l’expérience et quels souvenirs en gardez-vous ?

C’était même en 2017. Déjà, j’avais été super touché que les organisateurs me contactent et me proposent de venir dessiner et exposer sur un stand ! C’était une forme de reconnaissance de mon travail. Et puis j’ai vraiment adoré ce festival, à taille humaine, avec une super programmation, une petite place de village toute mignonne, de la bonne bière artisanale… Du coup je suis revenu chaque année depuis, sauf en 2020, pour les raisons qu’on connaît. J’espère vraiment qu’on pourra se rattraper en 2021 ! Et donc, pour en revenir à mon expérience de dessinateur, j’ai trouvé ça génial. Comme la foule est réduite, pas de souci pour accéder à la scène. Il y a même eu un bénévole, à un moment, qui m’a proposé de me « protéger » en s’intercalant entre moi et les pogos ! Incroyable ! Et puis les gens qui me voyaient dessiner pouvaient venir voir le résultat entre deux sets, dans l’espace exposants, ce qui est bien agréable.

Pour finir, avez-vous des albums cultes ou des découvertes récentes à recommander ?

J’ai envie de vous inviter à écouter des groupes que m’ont fait découvrir les gens d’EVTEVL : Herr Geisha And The Boobs, Chiyoda Ku et Koonda Holaa (d’ailleurs c’est à Bourlon que je l’ai découvert, lui). Je suis allé tellement souvent à leur soirées, sans savoir à quoi m’attendre, et je n’ai jamais regretté ma sortie. Qu’est-ce que ça me manque ! Rendez-nous les concerts !

Propos recueillis par Florent Le Toullec

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