Louis Lambert, Chien Noir Prod & éthique DIY – Interview

CN. C’est sous la forme de ces deux lettres, imprimés au dos des pochettes des premiers albums de DDENT, Krv et NNRA, que Chien Noir a fait son apparition. Deux lettres alors utilisées pour marquer d’un sceau l’identité d’un collectif rassemblé autour de l’idée de promouvoir un son authentique et forgé dans des valeurs DIY. Initiateur de ce projet, il compte à sa tête Louis Lambert qui est également à l’initiative de la transition de celui-ci vers le statut officiel de label en avril dernier. Cela étant, le voilà à présent engagé activement dans une fonction de directeur artistique. S’il fait effectivement partie de trois des quatre groupes qu’abrite pour le moment Chien Noir, il entend bien ouvrir son label à d’autres formations de France, voire d’Europe, sans qu’elles soient nécessairement issues de la scène métal.

 

Sur la page Facebook du label, on peut lire que ton intention avec Chien Noir est de « soutenir et promouvoir de nouvelles sorties et projets de manière originale selon une éthique DIY ». Quelle est cette originalité qui définit Chien Noir ?

Je ne sais pas si c’est si original que ça, mais l’idée c’est ça : regrouper, soutenir et promouvoir des groupes de l’underground français dans un premier temps, puis européen par la suite j’espère ! Faisant moi-même partie de cet underground, je constate les difficultés que l’on rencontre à promouvoir ses sorties, à avoir accès à des labels ou à la distribution. L’idée avec Chien Noir, c’est de cumuler nos forces et de rassembler des groupes que l’on estime. Le but n’est pas de faire un label de « potes » mais bien de faire la promotion de groupes qui me touchent et méritent qu’on parle plus d’eux. CN est donc une structure qui va permettre de regrouper tous ces projets et qui, en tant que collectif, peut aussi servir à chaque membre de sortir ses side project, splits, remixes ou projets solo. Même ces morceaux pourront exister, qu’ils soient issues d’un projet principal ou non.

L’aspect DIY de CN passe vraiment par le cumul des forces. Avec mon associé Nicolas Denechau (Dead Pig Entertainment), on est deux à être est entouré de personnes qui sont chacune douées dans leur truc. C’est cool de savoir à qui faire appel quand on veut bosser sur de la vidéo, du print, des remixes, du dessin, de la photo, du graphisme, de la promo, etc. Bref, avec des gens qui nous entourent, qui comprennent et apprécient cette idée de DIY tout en apportant leur petite pierre à l’édifice. Même si CN est encore à l’état embryonnaire, c’est grâce à cet esprit DIY qu’il existe. C’est son essence.

Vous êtes combien à gérer le label ? Comment s’organisent les rôles et les fonctions au sein du projet ?

Nous sommes deux à le gérer : Nicolas Denechau et moi. On se complète parfaitement, c’est assez drôle. Disons que je gère toute la partie artistique du label et son identité musicale générale : le choix des groupes et éventuelles collaborations à venir avec d’autres artistes, mais aussi la direction que je veux donner au projet. Je m’occupe de la couleur du label quoi ! Nico, plus pragmatique, m’épaule sur toute la forme et gère tout le côté auquel je suis assez hermétique et que je ne saurai pas faire sans lui. Une fois que je choisis un groupe, il va gérer les budgets et le planning de sortie. Il va faire tout le plan d’attaque que je vais bien sûr observer et valider avec lui. C’est lui qui en sera à l’origine. Nico, c’est un vrai stratège. Il a une bien meilleure connaissance que moi de la réalité de l’industrie musicale, des réseaux sociaux, du marketing, de la promo, etc. En d’autres termes, de comment vendre un album. Une idée à laquelle j’ai toujours eu du mal à me confronter. Je fais des albums mais je n’arrive pas à me pencher sur la question de comment les vendre. Ce n’est pas une question qui me stimule. Nico excelle dans la partie plus terre à terre de ce qu’est la sortie d’un album. Il m’a toujours été d’excellent conseil pour tous mes projets et notre association m’est apparue comme une évidence en fait. Il peut aussi contribuer à des choix artistiques durant la promotion, non pas sur la musique, mais sur des clips, des visuels de promo ou artworks. Il est de très bon conseil sur ces sujets-là également.

De l’extérieur, il y a une vrai cohérence entre la note d’intention DIY du label et ton parcours : tu joues, composes, enregistre et maintenant gère un label. C’était une évolution logique ? C’était intentionnel comme trajectoire, le temps de rouler sa bosse et de se sentir légitime et prêt ?

Ce label m’apparaît effectivement avec du recul comme une suite logique, même si je ne l’ai jamais vraiment verbalisé dans le temps. Je savais au fond de moi que je le ferai un jour, mais je ne savais pas encore sous quelle forme. La quasi-totalité des albums que j’ai sorti jusque-là ont le logo CN tamponné au dos. Bien que je ne pensais pas ouvrir nécessairement un label, je savais que je voulais dès les premières sorties leur donner ce logo en commun. C’est une idée qu’on a eu avec Seb qui l’a dessiné. On parlait surtout de collectif à la base. De pouvoir bosser avec d’autres artistes de tous secteurs – musique, vidéo, dessin, photo – et de regrouper ces travaux en commun sous la même structure. Donc en avril, j’ai décidé que cette forme serait en fait un label / collectif. Mais c’est exactement ça : c’était le temps de rouler sa bosse et de se sentir légitime et prêt. Même si je l’avais en tête il y a 4-5 ans, c’était trop tôt et je n’avais pas encore assez d’éléments pour composer cette structure. Pas encore non plus une idée assez claire de comment concrétiser ce projet. Depuis le début et dans toute ma manière de bosser, il y a une logique DIY. Ce label en est clairement une suite logique.

Chien Noir s’est constitué en début d’année autour de DDENT, NNRA, Krv et Chaos E.T. Sexual. Des groupes auquel tu appartiens ou est en relation et qui sont issus de la scène métal underground de Paris. Comment est née l’idée de rassembler ces groupes-là sous un même label ?

Disons que ces quatre groupes cumulés, ça fait une quinzaine de musiciens et artistes impliqués et qu’à force de bosser avec tous ces gens et de kiffer leurs projets, leurs travaux en dehors de leurs groupes et leurs esprits, je me suis dit que c’était le bon moment pour commencer à se regrouper. Pour que les gens qui aiment DDENT puissent découvrir Chaos, que ceux qui sont tombés sur NNRA découvrent Krv et inversement. Histoire d’amener plus facilement le publique à découvrir les projets de chacun – actuels ou à venir –, à voir qu’il y a une nébuleuse et un ensemble de personnes qui gravitent autour de CN. La deuxième étape va être d’accompagner des groupes auxquels je n’appartiens pas, ni ne suis vraiment en relation. C’est bien sûr l’idée et on bosse dessus en ce moment. Pour ce qui est de la création en avril, on devait commencer les soirées CN en juin, d’où la création du label juste avant. On avait déjà en tête trois concerts avec au moins deux groupes CN présent sur chaque date, plus en tête d’affiche des groupes qu’on aime et qui correspondent à l’esprit du label. C’est ça aussi le but : faire des soirées avec des line up originaux qui ressemblent à Chien Noir. L’identité du label doit aussi passer par ça. On parle aussi de bosser sur des set collaboratifs entre les groupes et de bosser sur de la vidéo live. Bref, ce sera reporté !

Serais-tu ouvert à accueillir des groupes venant d’autres coins de France ou qui ne soient pas apparentés métal?

Ma situation géographique m’a fait commencé le label avec des groupes basés en Île-de-France. J’y habite et on bosse souvent ensemble par cette proximité, mais je bosse aussi avec des musiciens qui viennent de partout en France. Principalement Nantes et Lille pour l’instant. Le but est de soutenir la scène underground française et pas que parisienne heureusement ! Je ne me ferme pas du tout. Au contraire, j’ai soif de découvertes, de surprises et de nouveautés, de groupes et de musiques que je ne connais pas. Donc principalement hors de mon secteur a priori. À ce propos, les concerts me manquent cruellement car c’est surtout comme ça que je découvre les groupes et que j’ai des coups de cœurs. Jamais, ou très rarement, en en écoutant sur internet. Je consomme énormément de concerts. Rien de tel que des groupes en tournée qui passent dans le coin pour découvrir ce qui se fait ailleurs. Donc oui, soutenir l’underground français voire aussi européen ! Il n’y a aucune limite géographique ou de genre musical pour CN. Ce n’est pas un label de métal. Peu importe le genre, je ne lis pas l’étiquette. Je marche à l’émotion, à l’authenticité, à ces choses qui ne feignent pas. J’ai envie de bosser avec des gens qui ont des projets qui me touchent, de les aider et de les promouvoir comme je peux s’ils en ont besoin.

Est-ce que tu as pour intention de limiter le nombre de groupe pour pouvoir vous en occuper pleinement?

Ce n’est pas une condition de fonctionnement, mais la réalité de la démarche. CN limite nécessairement le nombre de signatures. Je n’ai pas de coup de cœur tous les trois jours, on ne va pas se mentir ! Je mettrai le maximum de temps et d’énergie dans le soutien des groupes qui feront partie du projet. Après, on se concentre sur un soutien de promotion par sortie d’album. Il ne s’agit pas de manager le groupe en permanence. Donc c’est jouable d’avoir pas mal de groupes, tant que le planning des sorties est intelligemment établi. Il n’y aura pas de limite dans un premier temps. J’attends avant tout les concerts pour reprendre la découverte de groupes.

Peux-tu nous présenter Seb SM Bousille qui a eut l’idée du nom du label et en a dessiné le logo ?

Seb est avant tout un de mes meilleurs amis, mais avec qui j’ai ensuite commencé à bosser vers 2013 ou 2014. Seb est un artiste dessinateur et tatoueur. Pour l’ouverture de son premier salon parisien, Le Sphinx, il m’avait demandé de faire une musique pour la promo de son shop. C’est la première fois qu’on a bossé ensemble et on n’a jamais arrêté depuis. Il est impliqué de près ou de loin dans toutes mes sorties maintenant. Jamais musicalement, mais que ce soir pour faire l’artwork d’une sortie, du dessin, de la photo, trouver les titres des morceaux, m’aider à conceptualiser l’album en phase finale de composition, sur l’écriture des clips ou faire de la vidéo… Il est toujours quelque part ! C’est mon associé artistique si tu veux ! C’est surtout dans NNRA que cela s’est réalisé. Ce projet est vraiment un duo entre lui et moi. Je suis seul à la musique et il est seul au visuel. Il fait tous les artworks, les clips et les vidéos en live. Il participe donc à tous les concerts et y gère la projection de ses dessins animés. On bosse ensemble sur le concept de l’album lors de la phase de composition et on échange lors de ce processus chacun nos travaux : je lui envoie mes démos, lui ses dessins, et on avance comme ça.

On a décidé de nommer le label d’après le titre du premier EP de DDENT, Chien Noir (2014) donc, dont il avait effectivement trouvé le nom. Il a alors fallu rapidement concevoir un logo qu’on s’est tatoué le jour même. J’ai ce logo CN sur la pomme d’Adam depuis plus de cinq ans sans savoir ce que ça allait être. Puis une fois que ça s’est concrétisé en avril dernier, il paraissait évident que je m’associe avec Nico car Seb est assez occupé avec ses deux salons. Il reste tout de même impliqué dans le projet : Il est tenu au courant de chaque avancée et il fait partie de CN en tant qu’artiste. J’ai pas mal de projets autour du label pour lesquels Seb sera impliqué.

 

Pochette du nouvel album de Chaos E.T. Sexual à paraître le 20 novembre 2020
Pochette du nouvel album de Chaos E.T. Sexual à paraître le 20 novembre 2020

Que peux-tu nous dire de ton projet solo, sous le nom de Lousi Lambert, qu’accueillera le label ?

J’ai effectivement pour projet de sortir des remixes plus électro sous mon nom, car ce seraient des morceaux qui ne peuvent appartenir à aucun de mes autres projets. Via la structure CN effectivement, dont le but est aussi d’accueillir ce genre d’initiatives.

Chaos E.T. Sexual est l’un des quatre groupes du label mais il n’a pas produit d’album depuis 2013. Fin novembre, leur nouvel album Only Human Crust doit sortir. As-tu eu l’occasion de l’écouter?

Ouais, nous bossons dessus en ce moment et c’est une pépite ! Je l’écoute depuis quelques mois et je suis ravi qu’ils aient accepté de bosser avec nous sur cette sortie. Chaos E.T. Sexual a été une immense découverte live pour moi. Plus qu’une influence, ils m’ont absolument réconforté et motivé dans ma démarche musicale de l’époque. Une démarche dans laquelle je me sentais assez seul on va dire. Les voir en live dans la cave de la Cantine de Belleville en 2013 a été une révélation. Comme ils se font rares, j’y suis allé sans vraiment d’attentes et je me suis pris une branlée comme j’aime à en avoir lorsque je découvre un groupe lors d’une soirée. Ces trois amis, qui produisent une musique unique et authentique, ne trichent pas ! Les voir jouer, c’est systématiquement une expérience. J’ai une immense estime pour ce groupe et, encore une fois, je suis très content de bosser avec eux sur CN. J’avais déjà été comblé quand ils ont accepté de jouer dans NNRA. Pour ce qui est de leur nouvel album, on a commencé la promo courant septembre avec deux premiers single en vidéo. Il va y avoir de belles choses et je préfère ne pas trop en parler. Je suis très satisfait de la promotion sur laquelle on bosse avec Nico et Claire (Purple Sage PR). Sept années se sont écoulées depuis leur deuxième album, mais là, attendez-vous à un album assez différent des autres ! C’est de loin mon préféré.

Tu es attentif aux critiques musicales de tes albums ? Es-tu content de l’accueil de Couvre-sang de DDENT ? Il y en a qui t’ont agacé ?

J’y suis attentif dans le sens où je suis curieux des conséquences de mes productions et de mes idées sur les gens. C’est toujours une phase très particulière de lire les réactions d’un public sur un truc que tu as produis seul pendant de longs mois d’introspection. Pour autant, je ne compose pas dans l’attente de quoi que ce soit : ni de sucsès, ni de plaire. Je les lis seulement pour prendre connaissance de la réception de mes créations. Une critique, quelle qu’en soit l’auteur, n’aura jamais aucun impact sur ce que je fais.

L’accueil de Couvre-sang a été particulièrement bon et je ne peux qu’en être satisfait. Je n’ai jamais reçu autant de demandes d’interviews, de parutions papiers, ni autant de critiques positives. Je dois dire que l’album, à son humble niveau de niche underground, a plutôt bien marché et marqué j’ai l’impression. Compte tenu aussi du fait que c’est un album assez particulier. J’ai décidé de le faire sans compromis, en poussant mon trip solitaire sans avoir à aucun moment demandé des avis des personnes extérieures ou pris du recul dessus. Certains albums en ont besoin, mais je n’en ai pas du tout eu envie sur celui-là. Je préfère aller au bout de mes idées même si ça peut aboutir sur une forme déconcertante ou inhabituelle pour certains. Je vois bien que ça en a séduit plus d’un/E, et rien que pour ceux que ça a touché, je suis heureux !

Malgré tout, je n’ai pas retenu de critique agaçante. Certaines relevaient des points qu’ils estimaient négatifs (au niveau de la production, du son de telle ou telle chose ou d’interludes qui n’ont pas plu), mais riend d’irritant là-dedans. Ce sont des histoires de goûts qui ne remettent rien en cause pour ma part. Sans avoir rien attendu de cette sortie, je retiens surtout que, dans l’ensemble, l’album a plutôt surpris et plu.

Le DIY implique un travail en solo ou en équipe très réduite. Est-ce que ça t’arrive d’échanger et présenter ton travail à ton entourage et des potes musiciens pour solliciter leurs conseils lorsque tu bloques ou même sur le produit fini ?

Il m’arrive effectivement de partager le travail en cours de route à des amis : à Seb, aux musiciens du groupe concerné et à Nico évidemment. Ce que je fais, et ils le savent tous, jamais dans l’attente d’une sollicitation ou d’un conseil. Je n’ai jamais bloqué ou douté du produit fini et ils savent que je vais au bout de mon truc tout seul. C’est même la condition pour moi pour être satisfait d’un morceau ou d’un album, lorsque j’estime par moi-même que c’est devenu un produit fini et que je suis arrivé au bout de mon propos, de mon expression. C’est plus par curiosité quand ils me demandent comment ça va sonner ou où j’en suis dans l’album. Personne n’intervient jamais à un quelconque niveau sur le processus de composition, d’arrangement ou de n’importe quelle autre direction musicale. À part Chris Fielding évidemment (producteur pour Skyhammer studio) qui, lors du mix, uit mes envies en y mettant sa patte et son oreille. J’aime son travail et c’est aussi pour sa touche que je fais appel à lui.

Les derniers albums de Chien Noir ont justement été enregistré aux côtés de Chris Fielding en Grande-Bretagne ou par toi à Chien Noir Productions. Comment envisages-tu l’enregistrement des prochains albums du label ? La collaboration avvec Chris Fielding va-t-elle se poursuivre aussi?

Je ne sais pas encore, je suis très ouvert et ça va clairement dépendre des projets ! Je pense que pour DDENT je vais continuer à bosser avec Chris. On s’entend très bien, il commence à me connaître et donc aussi mes envies avant que je les formule. C’est très pratique et agréable de bosser avec lui. En plus d’être quelqu’un que j’aime beaucoup en tant que personne, il est très patient et tellement passionné par son métier. J’aurais du mal à le concurrencer pour le son que j’attends de DDENT.

Pour NNRA et Krv, ça rester dans mon studio Chien Noir Productions ! Je m’équipe de plus en plus et maîtrise de mieux en mieux certaines techniques de production. N’étant pas du tout ingénieur son de formation, je suis autodidacte et j’apprends tous les jours. Par ailleurs, je suis actuellement en recherche d’un nouveau lieu qui fera office de salle de résidence et de studio d’enregistrement qui va donc élargir les possibles de Chien Noir. Ce sera un outil de travail de plus à fournir aux groupes du label.

 

Propos recueillis par Florent Le Toullec

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